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Napoléon en oubliant tout à fait que sa parole d’honneur ne pouvait avoir aucune importance. Les Turcs ne sont pas une aide sérieuse pour vous. Ils ne sont bons à rien et l’ont prouvé en faisant la paix avec vous. Les Suédois… mais leur destinée est d’être gouvernés par des rois fous. Leur roi était fou, ils l’ont changé et en ont pris un autre, Bernadotte, qui aussitôt est devenu fou, car un fou seul peut, étant Suédois, conclure alliance avec la Russie.

Napoléon ricana méchamment et de nouveau approcha de son nez sa tabatière.

À chaque phrase de Napoléon, Balachov trouvait et voulait faire une objection, sans cesse il faisait le mouvement d’un homme qui désire dire quelque chose, mais Napoléon l’arrêtait. Contre la folie des Suédois, Balachov voulait objecter que la Suède est une île quand la Russie est derrière elle, mais Napoléon cria méchamment, avec violence, pour étouffer sa voix. Napoléon se trouvait dans cet état de colère où il est nécessaire de parler, de parler, de parler, à seule fin de se justifier soi-même. La situation de Balachov devenait pénible. Il avait peur de perdre sa dignité d’ambassadeur et sentait la nécessité d’objecter quelque chose, mais comme homme, il cédait moralement devant l’abandon de cette colère sans cause dans laquelle se trouvait Napoléon. Il savait que toutes les paroles dites maintenant par Napoléon n’avaient pas d’impor-