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forts, l’impossibilité de repousser les Russes, le désordre de la bataille. Autrefois, après deux ou trois ordres, deux ou trois phrases, les maréchaux et les aides de camp accouraient avec des félicitations, les visages joyeux, en déclarant comme trophées : des cadavres, des faisceaux de drapeaux et d’aigles ennemis, des canons, des fourgons, et Murat ne demandait que la permission de lancer la cavalerie pour prendre tous les fourgons. C’était ainsi à Lodi, à Marengo, à Arcole, à Iéna, à Austerlitz, à Wagram, etc., etc. Maintenant il se produisait dans son armée quelque chose d’étrange.

Malgré la nouvelle de la prise des flèches, Napoléon voyait que ce n’était pas du tout ce qui se passait aux batailles précédentes. Il voyait que tous ceux qui l’entouraient, des hommes expérimentés en l’art militaire, éprouvaient le même sentiment que lui.

Tous les visages étaient tristes, tous se regardaient mutuellement d’un air confus. Beausset seul pouvait ne pas comprendre l’importance de ce qui se passait ; mais Napoléon, après sa longue expérience de la guerre, savait bien ce que signifiait la bataille non gagnée, après huit heures d’efforts, par celui qui attaque. Il savait que c’était presque un combat perdu et qu’au point où se trouvait la bataille, le moindre hasard pouvait le perdre lui-même et ses troupes.

Quand il se rappelait toute cette étrange cam-