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fumée et les hommes, parfois les siens, parfois des Russes, mais où se trouvaient ceux qu’il voyait, il ne le savait pas quand il regardait ensuite à l’œil nu.

Il descendit du mamelon et se mit à marcher de long en large. De temps en temps il s’arrêtait, tendait l’oreille dans la direction des coups et regardait fixement le champ de bataille.

Non seulement de l’endroit où il se tenait, non seulement du mamelon où se trouvaient maintenant quelques-uns de ses généraux, mais des flèches mêmes où étaient ensemble ou séparément tantôt les Russes, tantôt les Français, des soldats morts, blessés, vivants, effrayés, ou fous de peur, on ne pouvait comprendre ce qui s’y passait. Pendant quelques heures, à cet endroit, parmi les détonations ininterrompues des fusils et des canons, paraissaient tantôt des Russes seuls, tantôt des Français, tantôt des fantassins, tantôt des artilleurs, qui tombaient, étaient tués, se heurtaient, ne sachant ce qu’ils faisaient, criant et courant en bas.

Du champ de bataille, les aides de camp de Napoléon et les ordonnances de ses maréchaux accouraient sans cesse vers lui avec des rapports sur la marche générale de l’affaire. Mais tous ces rapports étaient faux, parce que dans la chaleur de la bataille il est impossible de dire ce qui se passe à un moment donné et parce que plusieurs aides de