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un autre soldat était tué d’un coup de baïonnette dans le dos.

À peine avait-il le temps d’arriver au retranchement qu’un homme maigre, au visage jaune en sueur, en uniforme bleu, l’épée à la main, accourait à lui en criant quelque chose. Pierre, d’un mouvement instinctif de défense, sans voir son adversaire, se heurta contre lui les mains en avant et d’une main le saisit (c’était un officier français), de l’autre lui serra la gorge. L’officier, laissant tomber son épée, empoigna Pierre au collet.

Pendant quelques secondes, tous les deux se regardèrent avec des yeux effrayés, et tous les deux perplexes semblaient peu fixés sur ce qu’ils faisaient et sur ce qu’ils devaient faire. — « Est-ce moi qui suis pris, ou est-ce moi qui l’ai pris ? » pensait chacun d’eux. Mais évidemment, l’officier français penchait davantage vers l’idée que lui-même était pris, parce que la main vigoureuse de Pierre, mue par la peur, involontairement serrait de plus en plus sa gorge. Le Français voulait dire quelque chose quand, tout à coup, un boulet siffla sinistrement presque au ras de leurs têtes, et il sembla à Pierre que la tête de l’officier français était emportée, tant il la courba rapidement. Pierre inclina aussi la tête et baissa la main. Sans plus se demander qui avait fait un prisonnier, le Français revint sur ses pas à la batterie, et Pierre descendit la pente en se heurtant contre des morts et des