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que si vous la paralysiez en l’encombrant de remèdes. Notre corps est comme une montre parfaite qui doit aller un certain temps ; l’horloger n’a pas la faculté de l’ouvrir, il ne peut la manier qu’à tâtons et les yeux bandés. Notre corps est une machine à vivre, voilà tout.

Et, rentrant dans la voie des définitions, qu’il aimait, Napoléon, tout à coup, en fit une nouvelle.

— Savez-vous, Rapp, ce que c’est que l’art militaire ? L’art militaire, c’est d’être, à un certain moment, plus fort que l’ennemi, voilà tout.

Rapp ne répondit rien.

Demain, nous allons avoir affaire à Koutouzov, dit Napoléon. Voyons, rappelez-vous Braunaü. Il commandait l’armée et pendant trois semaines pas une seule fois il ne monta à cheval pour voir les fortifications. Nous verrons.

Il regarda sa montre. Il n’était que quatre heures. Il n’avait pas sommeil, le punch était bu et il n’avait rien à faire. Il se leva, marcha de long en large, mit un veston chaud, un chapeau et sortit de la tente. La nuit était sombre et humide. Un brouillard imperceptible tombait de haut. Les bûchers donnaient peu de clarté dans la garde française, et, au loin, à travers la fumée, ils brillaient sur la ligne russe ; tout était calme et l’on percevait nettement le piétinement des troupes françaises déjà en mouvement pour occuper la position.