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core plus légère, comme il arrive toujours avec les hommes qui voient venir un grand danger.

À l’approche du danger, deux voix parlent toujours également haut dans l’âme de l’homme : l’une dit très raisonnablement de réfléchir à la qualité même du danger et au moyen de s’en débarrasser. L’autre dit encore plus raisonnablement qu’il est trop pénible, trop tourmentant de penser aux dangers, alors que les prévoir tous et les écarter n’est pas dans le pouvoir de l’homme, de sorte qu’il vaut mieux se détourner des choses pénibles jusqu’à ce qu’elles arrivent, et penser à l’agréable.

Dans l’isolement, l’homme écoute en général la première voix ; dans la société, au contraire, il suit la seconde. C’est ce qui avait lieu maintenant pour les habitants de Moscou. Depuis longtemps on ne s’était amusé autant, à Moscou, que cette année.

Les affiches de Rostoptchine[1], avec les dessins d’un cabaretier et d’un petit marchand de Moscou, Karpouchka Tchiguirine, qui, pris dans l’enrôlement, après avoir bu un verre de trop, entendant dire que Bonaparte voulait aller contre Moscou, se fâcha et proféra des mots grossiers contre tous les Français, sortit du débit et, sous l’aigle impériale, se mit à haranguer le peuple amassé,

  1. Les fameuses affiches de Rostoptchine étaient l’imitation grossière du langage du peuple, presque intraduisible.