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vers la porte accédant au jardin et, en apercevant l’empereur qui entrait sur la terrasse avec Balachov, il s’arrêta. Ils se dirigeaient vers la porte. Boris, comme s’il n’avait pas réussi à s’écarter, se serrait respectueusement contre le montant de la porte et inclinait la tête.

L’empereur, avec l’émotion d’un homme offensé, prononçait ces paroles :

— Entrer en Russie, sans déclaration de guerre ! Je ne me réconcilierai pas tant qu’un seul ennemi armé restera sur ma terre.

Il sembla à Boris que l’empereur prononçait ces paroles avec plaisir. Il était content de la force de l’expression de sa pensée, mais il était contrarié que Boris l’entendît.

— Que personne ne le sache ! ajouta l’empereur en fronçant les sourcils.

Boris comprit que ces paroles se rapportaient à lui, et, baissant les paupières, il inclina la tête. L’empereur rentra de nouveau dans la salle et resta près d’une demi-heure au bal.

Boris sut ainsi le premier que les troupes françaises avaient franchi le Niémen, et ce lui fut l’occasion de montrer à quelques hauts personnages que, parfois, ce qui était caché des autres lui était connu : c’était une nouvelle occasion de se hausser dans l’opinion de ces personnes.