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nécessité de parler à tout ce monde, elle ne savait comment faire. Mais de nouveau la conscience d’être la représentante de son père et de son frère, lui donna des forces et, hardiment, elle se mit à parler.

— Je suis très heureuse que vous soyez venus, dit-elle sans lever les yeux et sentant son cœur battre rapidement et avec force, Drone m’a dit que la guerre vous a ruinés. C’est notre malheur commun, mais je n’épargnerai rien pour vous venir en aide. Je pars moi-même à cause du danger… l’ennemi est très près… parce que… Je vous donne tout, mes amis… Je vous prie de prendre tout… tout notre blé, pour qu’il n’y ait point de misère parmi vous. Si l’on vous a dit que je vous donne du blé à condition que vous restiez ici, ce n’est pas vrai. Au contraire, je vous demande de partir avec tous vos biens, dans notre village près de Moscou ; là-bas je prends tout sur moi et je vous promets que vous aurez le nécessaire. On vous donnera des logis et du pain.

La princesse s’arrêta. Dans la foule on n’entendit que des soupirs.

— Je ne le fais pas de moi-même, continua-t-elle, je le fais au nom de feu mon père qui était pour vous un bon maître, et au nom de mon frère et de son fils.

Elle s’arrêta de nouveau. Personne ne rompit le silence.

— Notre malheur est commun et nous parta-