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lice, venu à Bogoutcharovo, insista de même en disant que les Français étaient à quarante verstes, que des proclamations françaises circulaient dans les villages et que, si la princesse ne partait pas avec son père avant le 15, il ne répondait de rien. Les soucis des préparatifs, les ordres à donner, — tout le monde s’adressait à elle, — prenaient toute sa journée.

La nuit du 14 au 15, comme à l’ordinaire, elle resta sans se déshabiller dans la chambre voisine de celle où était couché le prince. Elle s’éveilla plusieurs fois, entendit sa respiration oppressée, le grincement du lit, les pas de Tikhone et du domestique qui le changeaient de côté. Plusieurs fois, elle écouta près de la porte : il lui semblait qu’aujourd’hui il marmonnait plus haut qu’à l’habitude et se retournait plus souvent. Elle ne pouvait dormir, maintes fois elle s’approchait de la porte, écoutait, désirant entrer, mais n’osait le faire. Bien qu’il ne parlât pas, la princesse Marie voyait, savait combien lui était désagréable toute expression de crainte à son égard. Elle remarquait avec quel mécontentement il se détournait du regard que parfois elle fixait sur lui obstinément, malgré elle. Elle savait que sa venue, la nuit, en temps extraordinaire, l’agaçait.

Mais jamais il ne lui avait paru si pénible, si affreux de le perdre. Elle se rappelait toute sa vie avec lui et, dans chacune de ses paroles, dans