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encore plus terrible pour elle, c’est que, depuis la maladie de son père, s’éveillaient tous les désirs et les espoirs personnels qui dormaient en elle. Ce qui, pendant des années, ne lui venait pas en tête : la pensée de la vie libre, sans crainte du père, même la pensée de l’amour et la possibilité du bonheur de famille, comme une tentation démoniaque, emplissait sans cesse son imagination. Elle avait beau la repousser, sans cesse lui venait en tête la question : comment après cela arrangerait-elle sa vie ? C’étaient tentations du diable et la princesse Marie le savait. Elle savait que la seule arme contre lui était la prière ; elle s’agenouillait devant les icônes, récitait les paroles des prières, mais ne pouvait pas prier. Elle sentait que maintenant l’autre monde, celui de la vie, de l’activité difficile et libre, tout à fait opposé à ce monde moral où elle était enfermée auparavant et où la prière était la meilleure consolation, la saisissait. Elle ne pouvait ni prier ni pleurer, et les soucis de la vie l’accompagnaient. Rester à Bogoutcharovo devenait dangereux. De tous côtés on entendait dire que les Français s’avancaient ; et dans un village, à quinze verstes de Bogoutcharovo, un domaine était pillé par les maraudeurs français.

Le docteur insistait pour emmener le prince plus loin ; le maréchal de la noblesse envoya un fonctionnaire chez la princesse Marie pour la supplier de partir le plus vite possible. L’inspecteur de po-