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de caractères et de situations les plus variés. Tous ces visages portaient l’expression commune de la joie du commencement de la campagne longuement attendue, de l’enthousiasme et du dévouement pour l’homme en redingote grise qui était sur le monticule.

Le 13 juin, on amena à Napoléon un petit cheval arabe pur sang, il le monta et traversa au galop l’un des ponts du Niémen, étourdi par les cris enthousiastes incessants qu’il supportait évidemment parce qu’il ne pouvait défendre d’exprimer ainsi l’amour pour lui. Mais ces cris, qui l’accompagnaient partout, l’agaçaient et le distrayaient des préoccupations militaires qui l’avaient assailli depuis qu’il avait rejoint son armée. Il traversa l’un des ponts vacillant sur les canots ; sur l’autre rive, il tourna bride à gauche et galopa dans la direction de Kovno, précédé par une garde de chasseurs, enthousiasmés et étourdis de bonheur, qui lui préparaient la route.

Arrivé au large fleuve de la Vistule, il s’arrêta près du régiment polonais de uhlans qui était sur le bord.

— Vivat ! criaient avec le même enthousiasme les Polonais, en dérangeant leurs lignes et se poussant pour le voir. Napoléon regarda le fleuve, descendit de cheval et s’assit sur un tronc qui était près du bord. Sur un signe on lui apporta une longue-vue. Il l’appuya sur l’épaule d’un page, tout