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cercle. Tout ce qui ne touchait pas l’accomplissement des ordres du prince non seulement ne l’intéressait pas mais n’existait pas pour lui.

En arrivant le 4 août au soir à Smolensk, Alpatitch s’arrêta de l’autre côté du Dniéper, dans le faubourg Gatchensk, à l’auberge de Férapontov, chez qui, depuis trente ans, il avait l’habitude de loger. Trente ans auparavant, Férapontov, après avoir acheté, avec l’aide d’Alpatitch, un bois au prince, s’était mis à faire du commerce, et maintenant il avait une maison, une auberge et une boutique de farine dans le chef-lieu de la province. Férapontov était un gros paysan de cinquante ans, brun, rouge, avec des lèvres épaisses, un gros nez camard, des bosses au-dessus des sourcils noirs froncés et un gros ventre.

Férapontov, en gilet et chemise de coton, se tenait près de sa boutique qui donnait sur la rue. En apercevant Alpatitch, il s’approcha de lui.

— Sois le bienvenu, Iakov Alpatitch. Les gens s’enfuient de la ville et toi tu y viens, dit-il.

— Pourquoi s’enfuient-ils de la ville ? demanda Alpatitch.

— Moi aussi je dis que le peuple est sot : il craint toujours les Français.

— Des racontars de femmes ! Des racontars de femmes ! prononça Alpatitch.

— Et moi aussi, c’est ce que je dis, Iakov Alpatitch. Je dis : l’ordre est donné de ne pas laisser