Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessant toutes ses relations anciennes avec mademoiselle Bourienne. Son air et son ton froid avec la princesse Marie semblaient lui dire : « Voilà, regarde, tu as inventé contre moi, tu as calomnié au sujet de mes relations avec cette Française, et tu m’as brouillé avec le prince André, et tu vois que je n’ai besoin ni de toi ni de la Française. »

La princesse Marie passait la moitié de la journée chez Nikolenka, surveillant ses études — elle-même lui enseignait le russe et la musique, — causant avec Desalles. Elle passait l’autre partie de la journée avec ses livres, la vieille bonne, les pèlerines qui, par l’escalier de service, montaient parfois chez elle.

Sur la guerre, la princesse Marie pensait ce que les femmes en pensent. Elle avait peur pour son frère qui était là-bas, elle avait une horreur instinctive pour la cruauté humaine qui fait les hommes s’entretuer, mais elle ne comprenait pas l’importance de cette guerre qui lui semblait pareille à toutes les guerres précédentes. Elle ne comprenait pas la signification de cette guerre, bien que Desalles, son constant interlocuteur, qui s’intéressait passionnément à la marche de la guerre, tâchât de lui expliquer ses considérations et malgré que les pèlerines qui venaient chez elle, chacune à sa façon, parlassent avec horreur des rumeurs populaires, de l’invasion de l’Antéchrist, et malgré que Julie, maintenant princesse Droubetzkoï, qui