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contre les Français parce qu’il ne pouvait refréner son désir de galoper sur le champ uni. Et de même, cette quantité innombrable de personnes qui participaient à cette guerre agissaient selon leurs qualités personnelles, leurs habitudes, selon les conditions et les buts poursuivis. Elles craignaient, se vantaient, se réjouissaient, s’indignaient, discutaient, en croyant savoir ce qu’elles faisaient et convaincues d’agir pour elles-mêmes, et, cependant, toutes étaient des instruments involontaires de l’Histoire et faisaient un travail caché d’elles mais compréhensible pour nous. Tel est le sort immuable de tous les acteurs agissants, et ils sont d’autant moins libres qu’ils sont plus haut dans la hiérarchie humaine.

Maintenant, les hommes de 1812 sont depuis longtemps descendus de leurs sièges, leurs intérêts personnels ont disparu sans laisser trace, et il n’y a plus, devant nous, que le résultat historique de ce temps.

Mais admettons que les hommes de l’Europe, sous le commandement de Napoléon, devaient pénétrer dans les profondeurs de la Russie et y périr, et alors, toute l’activité inutile, insensée, illogique, des facteurs de cette guerre, nous devient compréhensible.

La Providence forçait tous ces hommes, en aspirant à leurs buts personnels, à contribuer à la réalisation d’un unique et formidable résultat dont