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Vous ne savez pas quelle importance vous avez pour moi ; combien vous avez fait pour moi. Elle parlait vite, sans remarquer que Pierre rougissait à ses paroles. J’ai vu dans le même ordre que lui, Bolkonskï (elle prononça ce nom rapidement et à mi-voix), est en Russie et qu’il sert de nouveau. Qu’en pensez-vous, me pardonnera-t-il jamais ? N’aura-t-il pour moi qu’un sentiment mauvais ? Qu’en pensez-vous ? Qu’en pensez-vous ? prononça-t-elle rapidement ; évidemment elle se hâtait de parler craignant de défaillir.

— Je pense…, qu’il n’a rien à pardonner… Si moi j’étais à sa place…

Par l’association des idées, Pierre se transportait momentanément au jour où, pour la consoler, il lui avait dit que s’il était le meilleur homme du monde, et libre, à genoux il lui demanderait sa main, et le même sentiment de pitié, de tendresse, d’amour, le saisissait et les mêmes paroles étaient sur ses lèvres. Mais elle ne lui donna pas le temps de l’exprimer.

— Oui, vous, vous, dit-elle en prononçant ce mot avec enthousiasme, vous c’est une autre affaire : meilleur, plus magnanime, plus généreux que vous, je n’en connais pas ; il n’en peut exister. Si je ne vous avais pas eu alors et même maintenant, je ne sais pas ce que j’aurais fait parce que… Des larmes emplirent tout à coup ses yeux, elle se détourna, approcha de ses yeux un morceau de