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été susceptible, s’il n’y avait eu l’autocratie russe, la Révolution française, le Directoire et l’Empire qui la suivirent, et tout ce qui a produit la Révolution française, etc. Une de ces causes écartée, et rien n’arriverait. Alors toutes ces causes — des milliards — concordèrent seulement pour produire ce qui fut. Donc cet événement n’avait pas de cause exclusive et il se réalisa parce qu’il devait se réaliser. Des millions d’hommes devaient, en faisant abstraction de leurs sentiments humains et de leur raison, marcher de l’Occident à l’Orient et tuer leurs semblables, de même que quelques siècles auparavant, des foules d’hommes marchaient de l’Orient à l’Occident en massacrant leurs semblables.

Les actes de Napoléon et d’Alexandre, leurs paroles d’où, semblait-il, dépendaient la réalisation ou la non-réalisation des événements étaient aussi peu arbitraires que l’action de n’importe quel soldat qui allait en campagne par le sort ou par l’engagement. Ce ne pouvait être autrement, parce que, pour que la volonté de Napoléon et d’Alexandre (ceux de qui semblait dépendre l’événement) s’accomplît, la concordance de milliers de circonstances, d’une seule desquelles l’absence empêchait l’événement de s’accomplir, était nécessaire.

Il était nécessaire que les millions d’hommes dans les mains de qui était la force réelle — les soldats qui tiraient, chargeaient les provisions et les ca-