les ordonnances les plus variées de toutes les maladies qui leur étaient connues, mais il ne vint pas en tête d’un seul l’idée simple qu’ils ne pouvaient connaître le mal dont Natacha souffrait, pas plus qu’ils ne pouvaient connaître une seule des maladies des hommes, attendu que chacun a toujours sa maladie particulière nouvelle, compliquée, que la médecine ne connaît pas. Il n’y a pas de maladie de poitrine, de foie, de peau, de cœur, de nerfs, etc., cataloguées par la médecine, mais des maladies qui résultent d’une multitude de combinaisons des affections de plusieurs organes. Cette idée simple ne pouvait venir aux médecins (de même qu’il ne peut venir en tête à un sorcier qu’il ne peut ensorceler) parce que leur affaire consiste à guérir, parce qu’ils reçoivent de l’argent pour cela, et que, pour y arriver, ils ont dépensé les meilleures années de leur vie. Mais principalement cette idée ne pouvait venir en tête aux docteurs parce qu’ils voyaient qu’ils étaient tout à fait nécessaires — et ils l’étaient en effet — à toute la famille Rostov. Ils étaient utiles non parce qu’ils obligeaient la malade à avaler des ingrédients pour la plupart nuisibles (le danger était peu sensible parce que les ingrédients nuisibles étaient donnés à petite dose), mais ils étaient très utiles, nécessaires, indispensables (et c’est pourquoi il y eut et il y aura toujours des sorciers, des guérisseurs imaginaires, des homéopathes et des allopathes) parce qu’ils satisfaisaient le besoin
Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/130
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.