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lui dit qu’il soumettrait à l’empereur son acte héroïque et demanderait pour lui la croix de Saint-Georges. Quand on appela Rostov chez le comte Osterman, se rappelant qu’il avait fait cette attaque sans ordre, il était tout à fait convaincu que le chef le demandait pour le punir de son acte arbitraire ; aussi les paroles flatteuses d’Osterman et la promesse d’une récompense auraient-elles dû le frapper encore plus joyeusement. Mais toujours le même sentiment vague le peinait moralement. « Oui, qu’est-ce qui me tourmente ? se demandait-il en s’éloignant du général. La pensée d’Iline ? Non, il est sain et sauf. Ai-je fait quelque acte honteux ? Non, pas encore ça ? » Quelque autre chose le tourmentait comme un remords.

« Oui, oui, cet officier avec une petite fossette… Et je me rappelle comme mon bras s’est arrêté quand je le soulevais. »

Rostov aperçut les prisonniers qu’on emmenait. Il les suivit pour voir son Français au menton troué d’une fossette. En son uniforme étranger, il allait, monté sur un cheval des hussards, et regardait avec inquiétude autour de lui. Sa blessure du matin était insignifiante. Il feignait de sourire à Rostov et lui fit de la main une sorte de salut. Rostov se sentait heureux et gêné. Toute cette journée et la suivante, les amis et les camarades de Rostov remarquèrent qu’il n’était ni ennuyé, ni fâché, mais que, pourtant, il restait silencieux, pensif et con-