Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’intention d’y rien objecter. Rostov, après les campagnes d’Austerlitz et de 1807 savait par sa propre expérience, qu’en racontant les aventures, on mentait toujours, comme lui-même mentait en les racontant ; deuxièmement il avait assez d’expérience pour savoir qu’à la guerre rien ne se passe comme nous pouvons nous l’imaginer et le raconter. C’est pourquoi le récit de Zdrjinski lui déplaisait, comme lui déplaisait Zdrjinski lui-même qui, avec ses moustaches, suivant son habitude, se penchait très près du visage de celui à qui il parlait, et le pressait dans la hutte trop étroite. Rostov le regardait en silence.

« Premièrement, sur la digue attaquée, il devait y avoir tant d’agitation et de confusion que si Raievsky y avait amené ses fils, personne, sauf une dizaine d’hommes des plus près de lui, ne pouvait s’en apercevoir, pensait Rostov. Les autres ne pouvaient même voir comment et avec qui Raievsky marchait sur la digue. Même ceux qui l’ont vu ne pouvaient en être très enthousiasmés : quel intérêt y avait-il, pour eux, aux sentiments tendres, paternels de Raievsky, quand il fallait penser à sa propre peau ? Ensuite, de ce fait qu’on prendrait ou non la digue de Saltanovka ne dépendait nullement le sort de la patrie, comme on l’a écrit des Thermopyles. Alors, pourquoi ce sacrifice ? Puis, à quoi bon mêler ses enfants à la guerre ? Moi, non seulement, je n’y conduirais pas Pétia, mon frère, mais même