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méprisant, il était désespéré que la seule occasion de contrôler par une expérience gigantesque et de prouver à tout le monde la sûreté de sa théorie lui échappât.

La discussion dura longtemps et plus elle se prolongeait, en venant jusqu’aux cris et aux personnalités, moins il était possible de tirer une conclusion générale de tout ce qui était dit. Le prince André, en écoutant cette conversation en diverses langues, ces hypothèses, ces plans, ces contradictions, ces cris, s’étonnait seulement de ce que les idées qu’il avait eues depuis longtemps et souvent, pendant son activité militaire : qu’il n’y a pas et qu’il ne peut être de science militaire et que par suite il ne peut exister aucun génie militaire, recevaient maintenant, pour lui, l’évidence complète de la vérité : « Quelles peuvent être les théories et la science dans une affaire dont les conditions et les circonstances sont inconnues et ne peuvent être définies, où la force des acteurs de la guerre peut l’être encore moins ? Personne n’a pu et ne peut savoir dans quelles situations seront notre armée et celle de l’ennemi un jour plus tard, et personne ne peut savoir quelle est la force d’action de tel ou tel détachement. Quand il n’y a pas en avant un poltron qui crie : nous sommes coupés ! et s’enfuit, mais quand il y a un homme brave, joyeux, qui crie : hourra ! un détachement de cinq mille hommes en vaut parfois trente mille, comme sous Schœngraben,