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journalière des hommes qui ne voulaient ni d’un but honnête, ni de moyens honnêtes, qui ne voulaient que la satisfaction grossière de leurs intérêts privés, à l’aide de la puissance qu’on leur confiait ; ils ont ainsi accordé une sorte de prime à l’immoralité et au vice.

Je ne veux citer qu’un exemple, pour montrer ce que je veux dire, c’est celui de ce ministre, dont je ne rappellerai pas le nom, qui a été appelé dans le sein du cabinet, quoique toute la France, ainsi que ses collègues, sussent déjà qu’il était indigne d’y siéger ; qui est sorti du cabinet parce que cette indignité devenait trop notoire, et qu’on a placé alors où ? sur le siège le plus élevé de la justice, d’où il a dû bientôt descendre pour venir s’asseoir sur la sellette de l’accusé.

Eh bien ! messieurs, quant à moi, je ne regarde pas ce fait comme un fait isolé ; je le considère comme le symptôme d’un mal général, le trait le plus saillant de toute une politique : en marchant dans les voies que vous aviez choisies, vous aviez besoin de tels hommes.

Mais c’est surtout par ce que M, le ministre des affaires étrangères a appelé l’abus des influences que le mal moral dont je parlais tout à l’heure s’est répandu, s’est généralisé, a pénétré dans le pays. C’est par là que vous avez agi directement et sans intermédiaire sur la moralité publique, non plus par des exemples, mais par des actes. Je ne veux pas encore sur ce point faire à MM. les ministres une position plus mauvaise que je ne la vois réellement : je sais bien qu’ils ont été exposés à une tentation immense ; je sais bien que, dans aucun temps, dans aucun pays, un gouvernement n’en a eu à subir une semblable ; que, nulle pari, le pouvoir n’a eu dans ses mains tant de moyens de corrompre, et n’a eu en face de lui une classe politique tellement restreinte et livrée à de tels besoins, que la facilité d’agir sur elle par la corruption parût plus grande, le désir d’agir sur elle plus irrésistible. J’admets donc que ce n’est pas par un désir pré-