Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et presque joyeux au milieu d’une contrée étrangère et barbare, où les privations, la maladie et la mort s’offrent de toutes parts et tous les jours ? Sur ce point, il n’y a ni majorité ni minorité dans la Commission, non plus que dans la Chambre. Tout le monde est d’accord que l’intérêt public et la justice nationale demandent qu’on fasse participer l’armée aux avantages de la colonisation. La question n’est que dans le mode de la mesure.

Ce qu’on veut faire ici par une loi spéciale, peut se faire tout naturellement par l’emploi des fonds déjà portés au budget. Un crédit considérable, porté au budget, a déjà pour objet d’aider les colons à s’établir en Algérie ; que ce fonds soit principalement employé désormais à secourir les militaires qui veulent se fixer dans le pays conquis, personne ne le conteste ; on consentira même volontiers à ce que ce fonds soit accru suivant les besoins, mais il est inutile d’en créer un autre tout semblable dans une loi spéciale. Cela est inutile et difficile : car comment fixer aujourd’hui le montant du crédit nouveau qu’on demande à ouvrir ? On était toujours assuré de trouver des soldats en nombre suffisant pour remplir les camps agricoles ; mais d’anciens militaires mariés, et voulant se fixer en Afrique, qui peut dire maintenant combien il s’en trouve, et si le fonds déjà existant au budget n’est pas suffisant pour pourvoir à leurs besoins. La Commission ne le sait pas, le gouvernement lui-même l’ignore, il n’a fait encore aucune recherche de cette espèce ; et cela se conçoit, la mesure qu’on propose n’est point en effet une modification du projet de loi ; en réalité, remarquons-le, c’est un projet tout nouveau auquel le gouvernement n’avait pas songé, et pour lequel il ne peut fournir aucune lumière. Pourquoi’ la Chambre se hâterait-elle, dès cette année, de créer des crédits spéciaux dont il n’est pas sûr encore qu’on puisse faire emploi ?

Par ses effets, la mesure est donc inutile ; par le sens qu’on voudrait lui donner, elle pourrait être dangereuse. Le gouvernement et l’administration d’Afrique verraient peut-être dans la loi spéciale qu’on propose une reconnaissance solennelle et une consécration du système général qui consiste à coloniser l’Afrique à l’aide des subventions du Trésor. Or, ce système, en tant que moyen habituel de peupler le pays nouveau, est condamné par la raison et démenti par l’expérience.

Après de longues discussions, votre Commission s’étant partagée