l’agriculture et l’industrie européenne puissent s’établir ? Mais la population y est aussi dense que dans plusieurs de nos départements. La propriété y est divisée et possédée comme en Europe. Le champ de la colonisation n’est donc pas là.
Si nous ne pouvons pas aller utilement sur le territoire des Kabyles, avons-nous du moins à craindre qu’ils ne viennent nous inquiéter sur le nôtre ? M. le maréchal Bugeaud le disait lui-même à la Chambre : Les populations de la Kabylie ne sont ni envahissantes, ni hostiles ; elles se défendent vigoureusement quand on va chez elles, mais elles n’attaquent pas.
Leur soumission complète, il est vrai, la conquête de l’ancienne régence. Mais qui pressait de la compléter ? Notre bonne fortune avait voulu que nous rencontrassions en Algérie cette facilité singulière et que peu de conquérants ont trouvée : d’un pays divisé en deux zones entièrement distinctes, et partagé entre deux faces si complètement différentes, qu’on pouvait prendre chacune d’elles à part, la vaincre à loisir et la soumettre isolément. Est-il sage de négliger un si heureux hasard ?
Nous allons vaincre les Kabyles ; mais comment les gouvernerons-nous après les avoir vaincus ?
La Chambre sait que la tribu kabyle ne ressemble en rien à la tribu arabe ; chez l’Arabe, la constitution de la société est aussi aristocratique qu’on puisse la concevoir ; en dominant l’aristocratie, on tient donc tout le reste. Chez le Kabyle, la forme de la propriété et l’organisation du gouvernement sont aussi démocratiques qu’on puisse l’imaginer ; dans la Kabylie, les tribus sont petites, remuantes, moins fanatiques que les tribus arabes, mais bien plus amoureuses de leur indépendance qu’elles n’ont jamais livrée à personne. Chez elle, chaque homme se mêle des affaires publiques ; l’autorité qui la dirige est faible, l’élection y fait sans cesse passer le pouvoir de main en main. Si on voulait chercher un point de comparaison en Europe, on dirait que les habitants de la Kabylie ressemblent aux Suisses des petits cantons dans le moyen âge. Croit-on que d’ici à longtemps une telle population restera tranquille sous notre empire, qu’elle nous obéira sans être surveillée et comprimée par des établissements militaires Ibndés fondés dans son sein ; qu’elle acceptera avec docilité les chefs que nous allons entreprendre de lui donner, et que si elle les repousse, nous ne serons pas forcés de venir plu-