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Il faut seulement regretter qu’il ne se rencontre pas au-dessus d’eux un pouvoir qui, placé au point de vue de l’intérêt général, puisse les diriger et au besoin les contraindre.

L’abus de l’esprit spécial dans chaque service, ou, en d’autres termes, l’absence d’unité dans la direction générale des affaires, est le plus grand mal qui naisse de l’organisation administrative que nous venons de décrire ; les autres sont l’impuissance et la lenteur.

La centralisation d’Alger étant sans limites, la vie locale et municipale n’existant pas, les plus petites affaires arrivent pêle-mêle avec les plus grandes, sous les yeux des principaux fonctionnaires[1]. Quand les grands pouvoirs qui résident à Alger ont ainsi amassé dans leurs mains toutes les affaires, ils plient sous le faix. Les détails de l’administration les distraient des principaux intérêts de la société. Après qu’ils se sont épuisés à résoudre des questions de pavage et d’éclairage, ils négligent, faute de temps, les grands travaux de la colonisation européenne. Pour étudier le pays, reconnaître les terres dont l’État dispose, acquérir celles qu’il ne possède pas encore, cadastrer et limiter les unes et les autres, tracer les nouveaux emplacements des villages, veiller au bon choix des colons et procéder à leur installation prudente sur le sol, ils attendent qu’il leur vienne quelques loisirs.

Dans ce qu’ils entreprennent, ils ne marchent qu’avec une lenteur presque incroyable. Une dépêche du ministre de la guerre met d’ordinaire plus de temps pour aller du cabinet du gouverneur dans les mains de l’agent direct d’exécution, fût-il à Alger même, qu’elle n’en a mis à parcourir la France, à traverser la Méditerranée et à arriver en Afrique. Cela se comprend, si l’on songe que là où en France il ne se rencontre entre le ministre et l’agent d’exécution qu’un intermédiaire, on en trouve trois et quelquefois quatre en Afrique.

  1. Le fait va même plus loin sur ce point que le droit. L’ordonnance du 15 avril, sans créer d’institutions municipales, avait cependant chargé les maires d’exercer, au nom du gouvernement, certains pouvoirs relatifs à l’ordre, à la sécurité publique, à la salubrité, au nettoiement, à l’éclairage de la ville, à la sûreté de la voie publique, à la police locale et municipale. En fait, le maire d’Alger n’exerce aucune de ces attributions ; Le directeur de l’intérieur s’en est emparé, bien que l’ordonnance ne l’y autorisât en aucune manière. Un abus analogue se fait voir partout.