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nous y établir, car nous ne pouvons songer à fixer des populations européennes dans ces contrées. On peut donc dire sans tromper personne que la limite naturelle de notre occupation au sud est désormais certaine. Elle est posée à la limite même du Tell. Il est vrai que dans l’enceinte du Tell existe une contrée que nous n’avons pas encore occupée, et dont l’occupation ne manquerait pas d’augmenter, d’une manière très-considérable, l’effectif de notre armée et le chiffre de notre budget. Nous voulons parler de là Kabylie indépendante. La Chambre nous permettra de ne point nous étendre en ce moment sur la question de la Kabylie ; nous aurons plus loin l’occasion d’en parler, en rendant compte d’un incident qui a eu lieu dans le sein de la Commission. Nous nous bornerons à établir ici, comme un fait certain, qu’il y a des raisons particulières et péremptoires pour ne pas occuper la Kabylie. Ainsi, nous sommes fondés à dire qu’aujourd’hui les limites vraies et naturelles de notre occupation sont posées. Voyons si l’on peut également dire que dans ces limites les forces que nous possédons aujourd’hui seront désormais suffisantes. L’expérience ne nous a pas seulement montré où était le théâtre naturel de la guerre. Elle nous a appris à la faire. Elle nous a découvert le fort et le faible de nos adversaires. Elle nous a fait connaître les moyens de les vaincre, et, après les avoir vaincus, d’en rester les maîtres. Aujourd’hui, on peut dire que la guerre d’Afrique est une science dont tout le monde connaît les lois, et dont chacun peut faire l’application presque à coup sûr. Un des plus grands services que M. le maréchal Bugeaud ait rendus à son pays, c’est d’avoir étendu, perfectionné et rendu sensible à tous cette science nouvelle. Nous avons d’abord reconnu que nous n’avions pas en face de nous une véritable armée, mais la population elle-même. La vue de cette première vérité nous a bientôt conduit à la connaissance de cette autre, à savoir, que tant que cette population nous serait aussi hostile qu’aujourd’hui, il faudrait, pour se maintenir dans un pareil pays, que nos troupes y restassent presque aussi nombreuses en temps de paix qu’en temps de guerre, car il s’agissait moins de vaincre un gouvernement que de comprimer un peuple.