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toire ; nos troupes le parcourent en tous sens sans trouver la moindre résistance. L’Européen isolé peut même en traverser la plus grande partie sans redouter de péril.

La soumission y existe partout ; mais elle n’y a pas partout le même caractère.

A l’est, notre domination est moins complète ’peut-être qu’à l’ouest, mais infiniment plus tranquille et plus sûre. En général, nous y administrons les indigènes de moins près et d’une manière moins impérative ; mais notre suprématie y est moins contestée. Beaucoup de chefs indigènes y sont plutôt nos feudataires que nos agents ; notre pouvoir y est tout à la fois moins absolu et moins en péril. Une armée de 20 à 22 mille hommes suffit à la garde de cette partie du pays, qui forme cependant la moitié de toute l’ancienne régence, et qui compte plus de la moitié de ses habitants. La guerre y a été depuis quelques années presque inconnue. Les populations de l’ouest , celles qui occupent les provinces d’Alger et d’Oran, sont plus dominées, plus gouvernées, plus soumises, et en même temps plus frémissantes. Notre pouvoir sur elles est plus grand et moins stable. Là, la guerre a renversé toutes les individualités qui pouvaient nous faire ombrage, brisé violemment toutes les résistances que nous avions rencontrées, épuisé le pays, diminué ses habitants, détruit ou chassé en partie sa noblesse militaire ou religieuse, et réduit pour un temps les indigènes à l’impuissance. Là, la soumission est tout à la fois complète et précaire ; c’est là que sont accumulés les trois quarts de notre armée. A l’est aussi bien qu’à l’ouest, notre domination n’est acceptée que comme l’œuvre de la victoire et le produit journalier de la force. Mais à l’est ou la tolère, tandis qu’à l’ouest l’on ne fait encore que la subir. Ici on comprend que notre pouvoir peut avoir certains résultats utiles qui le rendent moins pesant ; là, on semble n’apercevoir qu’une raison d’y rester soumis, c’est la profonde terreur qu’il inspire.

Tel est l’aspect général que présente l’Algérie au point de vue de notre domination.

En présence de ce tableau, messieurs, à la vue de cet état de choses satisfaisant dans son ensemble, mais précaire dans quelques unes de ses parties, doit-on maintenir l'effectif actuel de notre armée ?