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qu’en soit le régime. Mais on le supporte sans peine dans les prisons où règne la vie commune, parce que le détenu remplace les liens qui se brisent hors de la prison, par des liens qu’il forme en dedans parmi ses compagnons de captivité. Cette aggravation qu’amène la durée de l’emprisonnement est au contraire sentie de la manière la plus vive dans l’emprisonnement individuel. Un homme qui a passé dix ou douze années détenu de cette manière, se croit de plus en plus abandonné de ses semblables, réduit à lui-même et mis à part du reste de l’espèce humaine. C’est ce qui a fait penser au gouvernement de la Pensylvanie qu’au delà d’un certain nombre d’années, ce mode d’emprisonnement devenait si sévère, qu’il plaçait l’esprit humain dans une situation si exceptionnelle et si violente, qu’il valait mieux condamner le criminel à mort que de l’y soumettre. Dans le nouveau code de cet État, la peine immédiatement supérieure à douze années d’emprisonnement est le gibet.

Nous avons lieu de croire que, frappé des mêmes considérations, le gouvernement prussien, sans abolir les peines perpétuelles, ainsi que l’a fait la Pensylvanie, a cru devoir cependant poser des limites assez étroites à la durée de l’emprisonnement cellulaire. Le gouvernement français peut-il, en cette matière, se montrer plus hardi que les américains, plus sévère que l’administration prussienne ? La majorité de la Commission l’approuve de ne pas l’avoir voulu.

Les inconvénients qu’on signale sont d’ailleurs beaucoup moins grands en fait qu’ils ne paraissent.

Il y a péril pour la société, dit-on, à remettre dans la vie commune des criminels qu’on a isolés pendant douze ans.

D’abord, le raisonnement ne s’applique point aux condamnés à perpétuité. Ceux-là ne doivent jamais revenir dans le monde ; et, au point de vue social, ce qui leur arrive en prison importe peu.

Reste les condamnés à temps, qui, après avoir passé plus de douze ans en cellule, devront être replacés durant un certain temps dans la vie commune avant d’être mis en liberté.

Il y en a 1,350 environ dans ce cas ; et, sur ces l,350, on en libère au plus, chaque année, 60. Encore la Commission a-t-elle des raisons de croire qu’il en rentrerait annuellement dans la société un bien moindre nombre, sans le fréquent exercice du droit de grâce.