Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un temps fort long doit nécessairement s’écouler entre l’adoption du système cellulaire et son application dans toutes les prisons du royaume : que fera-t-on pendant cette époque transitoire ? Comment changer, dès à présent, la loi pénale, puisque les anciennes prisons, en vue desquelles cette loi a été faite, existent encore ? Si on ne change pas la loi pénale, comment arriver à diminuer la durée des peines subies dans les prisons nouvelles ?

Plusieurs membres ont pensé que le seul moyen de sortir de la difficulté qu’on vient de signaler, était de s’en rapporter entièrement au zèle et à l’intelligence du pouvoir exécutif. Jusqu’à ce que toutes nos prisons fussent réformées, et tant que la loi pénale actuelle resterait en vigueur, l’administration devait veiller à ce que son application dans les nouvelles prisons ne donnât pas lieu à des rigueurs excessives ni à des inégalités choquantes. Elle y parviendrait aisément, soit en adoucissant temporairement le régime de ces prisons, soit en transportant au besoin les détenus, après un certain temps, dans d’autres établissements, soit enfin en abrégeant elle-même leur détention à l’aide du droit de grâce.

La majorité de la Commission a été d’un avis opposé.

Il lui a paru contraire à l’idée d’une justice régulière qu’on abandonnât à l’administration d’une manière générale et pour un temps considérable, le soin de régler les conséquences pénales des arrêts du tribunal ; de telle façon qu’il fut établi que, suivant son bon plaisir, la peine subie pour le même crime pût être longue ou courte, douce ou dure. Rien n’eût été plus propre, suivant elle, à jeter du trouble dans la conscience publique : le droit de grâce ne saurait, d’ailleurs, dans une société bien réglée, être employé comme moyen habituel d’administrer les prisons. La Commission de 1840 avait déjà repoussé à l’unanimité ce système, contre lequel, du reste, l’administration elle-même s’est prononcée.

Mais si on écarte en cette matière l’arbitraire, comment arriver à faire prononcer la loi ?

La Commission de 1840 avait cru pouvoir immédiatement procéder à une réforme du code, et elle avait ensuite restreint l’application de cette nouvelle loi pénale aux portions du territoire où les prisons cellulaires seraient d’abord établies.

Ce moyen a paru au gouvernement présenter des difficultés