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gué dans un même esprit toutes les lois destinées à régler les mille rapports des citoyens entre eux et avec l’État, il a pu créer à la fois tous les pouvoirs chargés d’exécuter ces lois, et les subordonner de telle sorte, qu’ils ne composassent tous ensemble qu’une vaste et simple machine de gouvernement, dont lui seul restait le moteur.

Rien de semblable n’avait encore paru chez aucun peuple.

Dans les pays qui n’ont pas d’institutions libres, les particuliers ont toujours fini par dérober au gouvernement une partie de leur indépendance, à l’aide de la diversité des lois et de la discordance des pouvoirs. Mais ici, la redoutable unité du système et la puissante logique qui liait entre elles toutes ses parties ne laissaient à la liberté aucun refuge.

L’esprit humain n’eût pas tardé à respirer péniblement dans une pareille étreinte. La vie se serait bientôt retirée de tout ce qui n’était pas le pouvoir ; et quand on eût vu ce pouvoir immense réduit à son tour à n’employer sa force surabondante que pour réaliser les petites idées et satisfaire les médiocres désirs d’un despote ordinaire, on se serait bien aperçu que la grandeur et la puissance surprenante de l’Empire n’étaient pas venues de lui-même.

Dans les sociétés croyantes ou mal éclairées, le pouvoir absolu comprime souvent les âmes, mais il ne les dégrade point, parce qu’on l’admet comme un fait légitime. On souffre de ses rigueurs sans le voir, on le porte sans le