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du projet de loi des prisons. Ces pétitions ont été mises sous les yeux de la Commission, qui en a fait l’objet d’un très-sérieux examen. La plupart d’entre elles émanent de consistoires protestants. Toutes ont pour but de réclamer la création d’un pénitencier uniquement destiné à recevoir des détenus appartenant à la religion réformée. La Commission reconnaît tout ce qu’a de respectable une demande qui prend son origine dans la première de toutes nos libertés, la liberté religieuse ; cependant elle ne croit pas pouvoir vous proposer d’ajouter à la loi les dispositions qu’on réclame. Elle a pensé que la réunion en un même lieu de tous les condamnés protestants de France présenterait dans la pratique des difficultés très-grandes. Elle a jugé surtout que ce système serait souvent fort contraire à l’intérêt même de ces individus ; qu’il éloignerait beaucoup d’entre eux de leur famille, qui est souvent pour eux une source de moralité aussi bien que de consolation, et les soumettrait à de longs et pénibles transports qui leur fourniraient vraisemblablement de nouvelles occasions de se corrompre. Tous ceux qui se sont occupés spécialement du système pénitentiaire, savent, en effet, que rien n’est plus dangereux que ces voyages pendant lesquels les condamnés, mal surveillés, achèvent d’ordinaire de se dépraver.

« C’est surtout par l’influence des croyances religieuses, dit un inspecteur-général dans son rapport, qu’on peut espérer la réforme morale d’un certain nombre de condamnés ; la discipline ne peut que lui préparer les voies. »

La Commission a la même pensée : le régime cellulaire lui paraît, de tous les modes d’emprisonnement, le plus propre à ouvrir les cœurs des détenus à cette influence réformatrice. C’est là un des plus grands avantages de ce régime à ses yeux.

Dans le système de l’emprisonnement individuel, le condamné, isolé de ses pareils, écoute sans distraction et retient sans peine les vérités qui lui sont enseignées ; il reçoit sans rougir les conseils honnètes qu’on lui donne ; le prêtre n’est plus pour lui un objet de dérision et de haine, sa seule présence est un grand soulagement de la solitude ; le détenu souhaite sa venue et s’afflige en le voyant partir.

L’emprisonnement individuel est assurément, de tous les systèmes, celui qui laisse le plus de chances à la réforme religieuse.