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L’emprisonnement individuel avait, en effet, au pénitencier de Philadelphie, à l’époque où les personnes envoyées par le gouvernement français l’ont visité, des caractères particulièrement austères, et qu’il n’est pas dans l’intention de la Commission de préconiser.

La prison de Philadelphie a été créée dans un but de religion plus encore que d’intérêt social. On a surtout voulu en faire un lieu de pénitence et de régénération morale.

Partant de ce principe absolu, on avait entrepris, non pas seulement de séparer le détenu de la société de ses pareils, mais de le plonger dans une profonde et irrémédiable solitude. Une fois entré dans sa cellule, il n’en sortait plus. Il n’y trouvait que son métier et un seul livre, la Bible. Aucun visiteur, si ce n’est un très-petit nombre d’individus désignés par la loi, n’était admis à le voir ni à lui parler. Aucun bruit du dehors ne parvenait à son oreille. C’étaient ses gardiens seuls qui lui apprenaient une profession. Il ne les voyait même que de loin en loin. Ils lui passaient sa nourriture à travers un guichet. Il n’était pas témoin des cérémonies du culte. Le condamné entendait la voix, mais n’apercevait pas les traits du prédicateur. En un mot, tout semblait avoir été combiné pour accroître la sévérité naturelle du système, au lieu de s’efforcer de l’adoucir.

On comprend que, parmi quatre cents individus soumis à un pareil régime, l’imagination de quelques-uns arrive à s’exalter ; que les esprits l’aibles ou bizarres que renferme toujouis en grand nombre une prison, soient surexcités, et que des cas d’hallucination aient dû se présenter.

La Commission de 1840, qui était fermement convaincue que l’emprisonnement individuel est le meilleur système de détention qui ait été trouvé, repoussait cependant les rigueurs inutiles dont les législateurs de la Pensylvanie avaient voulu l’entourer. Le système qu’elle préconisait et dont elle proposait l’adoption à la Chambre, n’avait pas tant pour objet de mettre le détenu dans la solitude que de le placer à part des criminels. C’était dans cette vue qu’après avoir posé dans la loi le principe de la séparation des détenus, elle n’avait pas voulu abandonner à lui règlement d’administration publique le droit d’indiquer les différents moyens à l’aide desquels ce principe devait être appliqué. Elle avait cru que ces détails faisaient