Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duisent en généial le mieux en prison et se plient le plus aisément à la règle, sont d’ordinaire les plus corrompus. Leur intelligence leur démontre aisément qu’ils ne peuvent se soustraire aux rigueurs de la discipline, et la bassesse de leur cœur les aide à s’y soumettre. Les plus dociles de tous sont les récidivistes.

Quant à l’action que les hommes peuvent avoir les uns sur les autres, elle ne saurait être que pernicieuse. Dans ces petites sociétés exceptionnelles que renferment les prisons, le mal est populaire ; l’opinion publique pousse vers le vice et non vers la vertu, et l’ambition ne saurait presque jamais porter à bien faire.

D’ailleurs, en admettant qu’il y eût quelque chose à perdre de ce côté, il y a beaucoup plus à gagner d’un autre.

Le plus simple bon sens indique que, s’il est un moyen puissant de produire une impression profonde et salutaire sur un condamné, ce moyen est de l’isoler de ses compagnons de débauche ou de crimes, et de le livrer à sa conscience, à la paisible considération des maux que ses fautes lui ont proiluits, et au contact des gens honnêtes. Un pareil système d’emprisonnement ne peut guère manquer de faire prendre aux condamnés des résolutions, sinon vertueuses, au moins raisonnables, et il leur en rend, cà leur sortie, l’application plus facile, parce qu’il a rompu ou détendu le lieu qui, avant la condamnation, unissait chacun d’eux à la population libre des malfaiteurs.

Tous ceux qui ont visité le pénitencier de Philadelphie et conversé avec les détenus qu’il renferme, ont été très-frappés de la tournure grave et sérieuse qu’avait prise leur pensée. Tous ont été témoins de l’impression profonde que produisait sur eux la peine à laquelle ils étaient soumis, et des bonnes résolutions qu’elle faisait naître.

Mais, dit-on, ce système qui fait une si grande impression sur l’esprit, le trouble ; il détruit la santé, amène la mort. Ce sont là des objections bien graves, et qui méritent assurément plus que autres les autres de nous préoccuper.

Il est bon de s’entendre d’abord sur un premier point ; il est bien certain que l’emprisonnement est un état contre nature, qui, en se prolongeant, ne peut guère manquer d’apporter un certain trouble dans les fonctions de l’esprit et du corps. Cela est inhérent à la peine qui en fait partie. L’objet des prisons n’est pas de rétablir la santé