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s’associent chaque jour pour troubler la paix publique. Ils forment une petite nation au sein de la grande. Presque tous ces hommes se sont connus dans les prisons, ou s’y retrouvent. C’est cette société dont il s’agit aujourd’hui de disperser les membres ; c’est ce bénéfice de l’association qu’il faut enlever aux malfaiteurs, afin de réduire, s’il se peut, chacun d’eux à être seul contre tous les honnêtes gens unis pour défendre l’ordre. Le seul moyen de parvenir à ce résultat est de renfermer chaque condamné à part ; de telle sorte qu’il ne fasse point de nouveaux complices et qu’il perde entièrement de vue ceux qu’il a laissés au dehors.

Ces avantages, messieurs, ont paru assez graves à votre Commission, pour qu’à l’exemple du gouvernement elle se déclarât en faveur de ce dernier système.

Avant, cependant, de proposer à la Chambre de l’adopter, la Commission croit de son devoir de vous faire connaître quelles sont les principales objections que ce système a soulevées, et quelles réponses y ont été faites.

En admettant que le système d’emprisonnement individuel ait d’heureux résultats, n’imposera-t-il pas des charges trop lourdes à la fortune publique ?

Une prison où chaque détenu habite séparément, dans un lieu où il peut travailler et vivre pendant des années, sans que son existence soit compromise, une pareille prison doit coûter des sommes très-considérables à bâtir.

L’entretien doit, de plus, en être fort onéreux au trésor, car une prison de cette espèce exige un grand nombre d’agents, et le travail des détenus y est peu productif.

À cela, on répond :

Une maison régie d’après le système de l’emprisonnement individuel coûte, en effet, plus cher à bâtir qu’une prison dirigée d’après l’autre système. Mais il est très-douteux que le nombre des emplois y soit plus grand ; car on a vu précédemment qu’à la terreur qu’inspire dans les prisons américaines le fouet et l’arbitraire des gardiens, ou ne pouvait substituer dans nos prisons qu’une surveillance de tous les instants, exercée par une multitude d’agents. n’est pas certain non plus que, dans une prison cellulaire, le produit du travail soit moindre.

Cette question du travail des détenus dans l’emprisonnement