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qu’à son existence propre, menaçait de le confondre enfin tout entier dans la vie commune du corps social.

Ces instincts divers, ces idées contraires, que le dix-huitième siècle et la révolution française nous avaient suggérés, formaient encore une masse confuse et impénétrable lorsque Napoléon entra sur la scène ; mais sa puissante intelligence ne tarda pas à les démêler. Il vit que ses contemporains étaient plus près de l’obéissance qu’ils ne le croyaient eux-mêmes, et que ce n’était pas une entreprise insensée que de vouloir fonder parmi eux un nouveau trône et une dynastie nouvelle.

Du dix-huitième siècle et de la révolution, comme d’une source commune, étaient sortis deux fleuves : le premier conduisait les hommes aux institutions libres, tandis que le second les menait au pouvoir absolu. La résolution de Napoléon fut bientôt prise. Il détourna l’un et s’embarqua sur l’autre avec sa fortune. Entraînés par lui, les Français se trouvèrent bientôt plus loin de la liberté qu’ils ne l’avaient été à aucune époque de l’histoire.

Quoique l’Empire ait fait des choses surprenantes, on ne peut dire qu’il possédât en lui-même les véritables sources de la grandeur. Il dut son éclat à des accidents plutôt qu’à lui-même.

La révolution avait mis la nation debout, il la fit marcher. Elle avait amassé des forces immenses et nouvelles, il les organisa et en usa. Il fit des prodiges, mais dans un temps de prodiges. Celui qui avait fondé cet empire, et qui le soutenait, était d’ailleurs lui-même le