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conçu ou même publiquement exprimé une opinion qui lui était contraire ; tous en ont reconnu les puissants effets sur l’esprit des criminels. Cependant, les commissaires envoyés à différentes reprises et à différentes époques en Amérique par les gouvernements de France, d’Angleterre et de Prusse[1], n’avaient eu sous les yeux que la forme la plus austère et la plus dure que ce système puisse prendre.

Le système de l’emprisonnement individuel a, en effet, des avantages spéciaux et très-grands qui ne peuvent manquer de frapper les regards.

La discipline en est facile et peut être réduite à des règles simples et uniformes qui, une fois posées, sont aisément suivies. On comprend que quand des criminels sont séparés les uns des autres par des murailles, ils ne peuvent offrir aucune résistance ni se livrer à aucun désordre : ce système une fois bien établi, l’administration de la prison une fois bien choisie, les-choses marchent donc en quelque sorte d’elles-mêmes, obéissant à la première impulsion qui leur est donnée. Cette raison, qui n’aurait que peu de puissance dans un pays comme la république de Genève, où le pénitencier, bien qu’il ne contienne en moyenne que cinquante détenus, attire directement et chaque jour l’attention particulière du gouvernement et de la législature ; cette première raison, disons-nous, a paru très-puissante à votre Commission. Il s’agit en effet d’indiquer à la Chambre le système de détention le mieux applicable à une multitude de prisons disséminées sur un très-vaste territoire et dans un pays où l’administration centrale, quelles que soient son habileté et sa puissance, ne saurait jamais raisonnablement se flatter de diriger et de surveiller à chaque instant tous ses agents dans l’exercice de règles compliquées et minutieuses.

Votre Commission a également été convaincue que l’emprisonnement individuel était, de tous les systèmes, celui qui rendait le plus probable la réforme morale des criminels, et exerçait sur leur âme l’influence la plus énergique et la plus salutaire ; mais elle ne

  1. Une circonstance qui n’est pas sans importance, c’est que l’un de ces commissaires était médecin, membre correspondant de l’Académie royale de médecine de Paris, et très-propre, par conséquent, à juger l’influence fâcheuse que le système d’emprisonnement individuel pouvait exercer sur la santé des détenus.