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pline, il se passe dans les dortoirs des désordres dont la gravité ainsi que la fréquence doivent faire profondément gémir la morale et l’humanité.

Or, pour pourvoir de cellules les 20,000 détenus environ qui habitent ou qui doivent habiter les maisons centrales, et les 7,000 détenus qui occupent aujourd’hui les bagnes, il faudrait dépenser trente millions au moins[1]. La Chambre remarquera que, dans ce chiffre, ne figurent point les sommes nécessaires pour pourvoir de cellules les condamnés à moins d’un an qui restent dans les prisons départementales.

Les avantages qu’on peut raisonnablement attendre en France du régime du silence, n’ont pas paru à la Commission assez grands pour qu’on dût les payer si cher.

Restait le système de l’emprisonnement individuel que le gouvernement vous propose d’adopter.

La Commission en a fait aussi l’objet du plus sérieux examen.

Une première considération l’a frappée : la plupart de ceux qui ont reçu la mission d’aller aux États-Unis pour étudier sur les lieux l’état des prisons, sont revenus partisans très-zèlés de l’emprisonnement individuel, bien qu’avant leur départ ils eussent

  1. Voici la manière dont ce chiffre a été établi, d’après le rapport des quatre architectes chargés par M. le ministre de l'intérieur, en 1857, de visiter les maisons centrales, et d’étudier les questions relatives à la construction des pénitenciers d’après le système d’Auburn.
    Appropriation de dix-huit maisons centrales pouvant contenir, dans leur état actuel, 18,000 détenus : 13,351,221 fr.
    (Elles en ont réellement contenu moyennement, durant l’année 1842, 18,616.)
    Ainsi appropriées, ces maisons ne pourront plus contenir que 14,179 détenus. Reste 3,821 détenus, pour lesquels il faut bâtir des prisons nouvelles. Ces prisons, dans le système d’Auburn, devant revenir, suivant l’estimation des mêmes architectes, à 1,550 fr. par cellule, coûteraient 5,158,350 fr.
    Plus, pour les 2,000 condamnés à plus d’un an, qui restent, faute de place, dans les prisons départementales : 2,700,000 fr.
    Plus, pour les 7,000 forçats renfermés dans les bagnes : 9,450,000 fr.
    Total : 30,659,571 fr.