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que paroles[1]  ; ils sont punis. Quelques jours après, ils retombent dans la même faute et encourent une nouvelle punition ; ainsi, les punitions se succèdent et deviennent plus fortes à mesure que les infractions se multiplient. Enfin, tant de châtiments, et pour une faute si légère, aigrissent l’esprit du détenu, ils le rebutent et le changent souvent en un homme insubordonné, dont les actions démentent bientôt la bonne conduite antérieure. » Encore si le silence qu’on cherche à imposer à l’aide de cette rigueur était obtenu ! Les rapports des directeurs ne l’affirment point, et les rapports de presque tous les inspecteurs-généraux le nient. Les bruyants propos ont cessé, les longues conversations sont interdites. Mais le silence complet, le silence pénitencier, comme le nomme heureusement un inspecteur, c’est à-dire celui qui empêche absolument les confidences immorales et les accords dangereux, ce silence n’existe nulle part.

Parmi les maisons centrales de France, il en est une où, de l’aveu de tout le monde, la règle du silence est mieux observée que dans toutes les autres.

Or, voici ce que dit de cette maison l’inspecteur-général chargé de la visiter :

« L’ordre physique règne partout : point de bruit, point de tumulte, pas de conversation à voix hautes. Les mouvements y sont si réguliers, si calmes, si parfaits, qu’on dirait une machine accomplissant sa fonction mécanique sans le frottement d’aucun rouage. On voit qu’une volonté ferme et unique imprime son action à tous les exercices de la journée, et que tous ces exercices se rattachent à une idée de moralisation et d’intimidation. Sous ce rapport, je regarde cette maison comme la mieux ordonnée qui soit peut-être en Europe. Mais quant au silence, il m’est facile de prouver qu’il n’existe pas, malgré les prescriptions rigoureuses du règlement et

  1. La tentation de parler est si puissante chez quelques condamnés, dit un directeur de maison centrale dans son rapport, que ni sermons, ni punitions, quelle qu’en soit la rigueur, ne peuvent rien sur eux. Il en est qui, après leur vingt-cinquième punition dans l'année pour ce motif, ne sont pas plutôt de retour à l'atelier, qu’ils me sont de nouveau signalés pour leurs bavardages. Les moins vicieux me demandent alors comme une faveur de les placer dans une cellule pour les soustraire à l’irrésistible penchant qui les entraîne à causer dès qu’ils en trouvent l’occasion ; et tous les jours ces scènes se renouvellent.