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revint accru, relativement au nombre des citoyens, dans la proportion de 3 à 17.

Il est du reste, juste de faire observer que la plus grande partie de cette augmentation porte sur les délits, c’est-à-dire les infractions à la loi pénale, les moins dangereuses pour la tranquillité publique. Toutefois, ces chiffres, que nous avons cru de notre devoir de mettre sous les yeux de la Chambre, paraissent à la commission de nature à faire naître des craintes très-sérieuses. Ils accusent un mal auquel il est urgent d’apporter remède.

Quelles sont les causes de ce mal ?

Ce serait envisager une si grande question d’une manière bien étroite, que de prétendre qu’un si considérable accroissement des crimes n’est du qu’au mauvais état des prisons. La commission n’est pas tombée dans cette erreur. Elle sait que le développement plus ou moins rapide de l’industrie et de la richesse mobilière, les lois pénales, l’état des mœurs, et surtout l’affermissement ou la décadence des croyances religieuses, sont les principales causes auxquelles il faut toujours recourir pour expliquer la diminution ou l’augmentation des crimes chez un peuple.

Il ne faut donc pas attribuer uniquement, ni même peut-être principalement à l’état de nos prisons, l’accroissement du nombre des criminels parmi nous ; mais la commission est restée convaincue que l’état des prisons avait été une des causes efficaces de cet accroissement.

Un mauvais système d’emprisonnement peut augmenter le nombre des crimes de deux manières :

1° Il peut faire disparaître aux yeux des citoyens une partie de la terreur de la peine, ce qui accroît le nombre des premiers crimes ;

2° Il peut ne pas corriger, ou achever de corrompre les condamnés, ce qui multiplie les récidives.

Les anciennes prisons de l’Europe avaient été toutes bâties dans un but d’intimidation et non de réforme. Rien n’y était préparé pour y améliorer l’état de l’âme, mais le corps y souffrait, il y était fréquemment chargé de chaînes. La nourriture était insuffisante ou malsaine ; on y était mal vêtu ; on y couchait, d’ordinaire, sur la paille ; on y endurait le froid et souvent la faim. Toutes les précautions de l’hygiène y étaient parfois méconnues d’une manière inhumaine ; la mortalité y était très grande.