Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’apprenti agriculteur ou predial, suivant l’expression du bill, conservait de l’esclavage l’obligation de servir, sans salaire, pour le compte d’un maître qu’il ne pouvait quitter à volonté. Mais le maître ne pouvait plus arbitrairement le forcer au travail. Entre ces deux hommes venait s’interposer, pour la première fois, un magistrat chargé de veiller à ce qu’aucun des deux n’échappât aux obligations qui leur étaient imposées.

Le maître devait à l’affranchi la nourriture, le logement, l’entretien, comme au temps de l’esclavage.

L’affranchi devait au maître quarante-cinq heures de travail par semaine, ou cinq jours de travail à neuf heures par jour. Le reste du temps lui appartenait. L’espérance du législateur était que l’apprenti emploierait au service de son maître, et moyennant salaire, la plus grande partie du temps qu’on laissait chaque semaine à sa disposition.

Le maître était privé du pouvoir qu’il avait eu jusque-là d’infliger des punitions arbitraires. Le magistrat seul pouvait punir. Mais le magistrat restait armé de la faculté d’infliger des peines corporelles, dont les femmes seules étaient exemptes.

Dans les colonies anglaises, et particulièrement dans les colonies anciennes, la presque totalité des fonctionnaires publics étaient pris parmi les planteurs. La police était dans les seules mains des juges de paix, c’est-à-dire des propriétaires. Ces magistrats, suivant la coutume de la mère-patrie, n’étaient point payés.

Le Parlement jugea que, pour régler les obligations nouvelles et nombreuses que le bill imposait aux maîtres et aux ouvriers, il fallait introduire dans les colonies une magistrature rétribuée.

Le bill qui abolissait l’esclavage créait un certain nombre de magistrats salariés[1]. Ces magistrats, qui furent la plupart choisis dans la mère-patrie, avaient une compétence exclusive, mais circonscrite et temporaire.

Ils ne devaient juger que les contestations entre les apprentis et les maîtres, et leur pouvoir devait expirer avec le terme de l’apprentissage, c’est-à-dire au 1er août 1840.

Dans tout ce qui précède, le Parlement se borna à faire connaître

  1. On en plaça soixante dans la seule colonie de la Jamaïque, qui comptait 522,000 esclaves ; c’était à peu près un magistrat pour 5,000 affranchis. A la Guyane, il y en eut quinze pour 80,000 esclaves, ou environ un magistrat pour 5,500 noirs.