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réunissant toutes les siennes dans les mers qui l’environnent.

Après avoir fait de longs efforts pour fonder à grands frais sa colonie, la France se verrait en danger presque certain de la voir enlever par son ennemie.

Mais une pareille colonie tentera peu la cupidité de l’Angleterre. — Rien n’autorise à le croire ; l’Angleterre aura toujours intérêt à détruire un établissement colonial français, quel qu’il soit. L’Angleterre, d’ailleurs, en s’emparant de la colonie pénale, se hâtera sans doute de lui donner une autre destination et cherchera à la peupler d’autres éléments.

Mais supposons que, la colonie ayant eu le temps de prendre un accroissement considérable, l’Angleterre ne veuille ou ne puisse s’en emparer, elle n’a pas besoin de le faire pour nuire à la France ; il lui suffit d’isoler la colonie et d’arrêter ses communications avec la mère-patrie. Une colonie, et surtout une colonie pénale, à moins d’être parvenue à un haut degré de développement, ne supporte qu’avec peine un isolement complet du monde civilisé. Privée de ses rapports avec la métropole, on la voit bientôt dépérir. De son côté, si la France ne peut plus transporter ses condamnés au delà des mers, que deviennent les résultats de la déportation, si chèrement achetés ? Sa colonie, au lieu de lui être utile, lui suscitera des difficultés et nécessitera des dépenses qui n’existaient point avant elle. Que fera-t-on des détenus qu’on destinait à la colonie pénale ; il faudra les garder sur le territoire continental de la France ; mais rien n’est préparé pour les recevoir ; à chaque guerre maritime, il faudra donc recréer des bagnes provisoires qui puissent contenir les criminels.

Tels sont, dans l’état actuel des choses, les résultats presque certains d’une guerre avec l’Angleterre. Or, si l’on ouvre les fastes de notre histoire, on peut se convaincre que la paix qui subsiste aujourd’hui est une des plus longues qui aient existé entre les Anglais et nous depuis quatre cents ans.