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chez nous et n’excitera jamais ces sympathies profondes, cette sorte de piété filiale qu’ont pour elle les peuples navigateurs et commerçants. De là vient que parmi nous on a vu souvent les génies les plus puissants s’obscurcir tout à coup lorsqu’il s’agissait de combiner et de diriger des expéditions navales. Le peuple, de son côté, croit peu au succès de ces entreprises éloignées. L’argent des particuliers ne s’y engage qu’avec peine ; les hommes qui, chez nous, se présentent pour aller fonder une colonie sont le plus souvent du nombre de ceux auxquels la médiocrité de leurs talents, le délabrement de leur fortune, ou les souvenirs de leur vie antérieure, interdisent l’espérance d’un avenir dans leur patrie. Et cependant s’il est une entreprise au monde dont le succès dépende des chefs qui la dirigent, c’est sans doute l’établissement d’une colonie pénale.

Lorsque l’Angleterre conçut, en 1785, le projet de déporter ses condamnés dans la Nouvelle-Galles du Sud, elle avait déjà acquis à peu près l’immense développement commercial qu’on lui voit de nos jours. Sa prépondérance sur les mers était dès lors un fait reconnu.

Elle tira un grand parti de ces deux avantages ; l’étendue de son commerce la mit à même de se procurer facilement les marins qu’elle destinait à faire le voyage d’Australie ; l’industrie particulière vint au secours de l’État. Des navires d’un haut tonnage se présentèrent en foule pour transporter à bon marché les condamnés dans la colonie pénale. Grâce au grand nombre des vaisseaux et aux immenses ressources de la marine royale, le gouvernement put sans peine faire face à tous les nouveaux besoins.

Depuis lors, la puissance de l’Angleterre n’a pas cessé de croître : l’île Sainte-Hélène, le cap de Bonne-Espérance, l’île de France sont tombés entre ses mains, et offrent aujourd’hui à ses vaisseaux autant de ports où ils peuvent relâcher commodément à l’abri du pavillon britannique.

L’empire de la mer s’acquiert lentement, mais il est