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La race européenne a reçu du ciel ou a acquis par ses efforts une si incontestable supériorité sur toutes les autres races qui composent la grande famille humaine, que l’homme placé chez nous, par ses vices et par son ignorance, au dernier échelon de l’échelle sociale, est encore le premier chez les sauvages.

Les condamnés émigreront en grand nombre vers les Indiens ; ils deviendront leurs auxiliaires contre les blancs et le plus souvent leurs chefs.

Nous ne raisonnons point ici sur une vague hypothèse : le danger que nous signalons s’est déjà fait sentir avec force dans l’île de Van-Diémen. Dès les premiers jours de l’établissement des Anglais, un grand nombre de condamnés se sont enfuis dans les bois ; là, ils ont formé des associations de maraudeurs. Ils se sont alliés aux sauvages, ont épousé leurs filles, et pris, en partie, leurs mœurs. De ce croisement est née une race de métis plus barbare que les Européens, plus civilisée que les sauvages, dont l’hostilité a, de tout temps, inquiété la colonie, et parfois lui a fait courir les plus grands dangers.

Nous venons d’indiquer les difficultés qui se présentent, dès d’abord, lorsqu’on veut faire le choix d’un lieu propre à y établir une colonie pénale. Ces difficultés ne sont pas, de leur nature, insurmontables, puisque enfin le lieu que nous décrivons a été trouvé par l’Angleterre. Si elles existaient seules, on aurait peut-être tort de s’y arrêter ; mais il en est plusieurs autres qui méritent également de fixer l’attention publique.

Supposons donc le lieu trouvé : la terre où l’on veut établir la colonie pénale est à l’autre bout du monde ; elle est inculte et déserte. Il faut donc y tout apporter et tout prévoir à la fois. Quels frais immenses nécessite un établissement de cette nature ! Il ne s’agit point ici de compter sur le zèle et l’industrie du colon pour suppléer au manque de choses utiles, dont l’absence se fera toujours sentir, quoi qu’on