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quoique bien voisins de nous, ne pouvait imaginer l'imortance que devait avoir le port qu’il achevait de créer à si grands frais ; car il ignorait le parti que nous allions bientôt pouvoir tirer de la vapeur dans les guerres maritimes. On ne saurait douter que, pour nous, le champ naturel et nécessaire de la marine à vapeur ne soit la Méditerranée ou la Manche. C’est surtout dans la Manche qu’à l’aide de la vapeur nous pouvons encore faire à la Grande-Bretagne une guerre redoutable ; l’atteindre sans cesse par des entreprises soudaines et imprévues dans ses parties les plus sensibles, et, saisissant les occasions qui se présentent, quels que soient le vent et l’état de la mer, surprendre ses richesses, insulter ses côtes, désoler son commerce et enlever ses vaisseaux. Cherbourg doit être surtout préparé en vue de la guerre maritime faite par la vapeur. A une époque prochaine un chemin de fer unira son port à Paris. Cherbourg sera alors comme le bras de la France toujours prêt à frapper aussitôt que la pensée du coup sera conçue. C’est donc par une sorte d’inspiration patriotique que Burke, en 1786, s’écriait dans le Parlement d’Angleterre : « Ne voyez-vous pas la France à Cherbourg placer sa marine en face de nos ports, s’y établir malgré la nature, y lutter contre l’Océan et disputer avec la Providence qui avait assigné des bornes à son empire. Les pyramides d’Égypte s’anéantissent en les comparant à des travaux si prodigieux. Los constructions de Cherbourg sont telles qu’elles finiront par permettre à la France d’étendre ses bras jusqu’à Portsmouth et à Plymouth, et nous, pauvres Troyens, nous admirons cet autre cheval de bois qui prépare notre ruine. Nous ne pensons pas à ce qu’il renferme dans son sein, et nous oublions ces jours de gloire pendant lesquels la Grande-Bretagne établissait à Dunkerque des inspecteurs pour nous rendre compte de la conduite des Français. » La ville de Cherbourg s’est développée à mesure que le port militaire prenait de l’importance. Elle avait, comme