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employée dans ces travaux. On pourrait peut-être, à force de dépenses, et en perfectionnant les moyens d’extraction et de transport, apporter sur la digue des blocs tellement pesants que la mer n’eût point d’action sur eux ; mais il est bien plus facile, plus sur et moins coûteux de former, à l’aide de la maçonnerie, un seul bloc immense et immobile. Il faut donc renoncer aux pierres non taillées et non liées entre elles, et bâtir un mur ; voilà la première vérité. Voici la seconde : il faut, pour fonder ce mur, descendre jusqu’au niveau des plus basses marées. L’expérience a, en effet, appris que c’est dans l’espace qui s’étend entre la ligne des marées basses et celles des marées hautes que la mer agit avec le plus d’énergie, de telle sorte que, si le mur qu’on veut lui opposer ne descend pas jusqu’au niveau des plus basses marées, il est toujours à craindre que le sol sur lequel il repose venant tôt ou tard à être affouillé, ce mur ne tombe. Mais comment faire ce mur ? comment surtout le fonder si bas, c’est-à-dire sur un sol que la mer découvre à peine deux fois dans les vingt-quatre heures, qui n’est à sec que pendant quelques jours dans chaque mois, et durant chacun de ces jours-là pendant quelques heures seulement ? Bâtir, comme à terre, à l’aide de pierres de taille et de moellons, combinés et liés ensemble par la main du maçon, il était difficile d’y songer. Un si grand ouvrage, auquel on ne pouvait se livrer que si peu de temps chaque mois eût été interminable ; la mer, d’ailleurs, aurait détruit une oeuvre si longtemps imparfaite, avant qu’elle fût sortie des mains de l’ouvrier.

Une découverte assez récente permit de surmonter aisément cet obstacle. Pour qu’on puisse bâtir dans la mer, il est nécessaire que le mortier avec lequel se fait la maçonnerie ne se délaye point dans l’eau comme le mortier ordinaire, mais au contraire y durcisse rapidement afin de pouvoir lier entre elles les pierres au fond de la mer et en former une masse compacte et solide avant que les flots, ve-