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plus subtils pour indiquer, aux différents accidents dont nous venons de parler, toutes sortes de causes, hormis la véritable. Il imaginait tout, excepté qu’il s’était trompé. Survint enfin l’épouvantable catastrophe de la nuit du 12 février 1808. Cette nuit-là, la mer, aidée du vent et de la marée, s’éleva à une hauteur et parvint à un degré de violence inusités. Cette fois, les blocs que M. Cachin avait placés sur le haut de la digue ne furent pas seulement remués, mais arrachés de la place qu’ils occupaient et lancés, malgré leur poids énorme, contre la batterie et jusque par-dessus le parapet qui défendait celle-ci : les murs s’écroulèrent, les flots s’élancèrent dans les ouvrages et les inondèrent ; des pièces • de 56, saisies comme des brins de paille par la vague, furent jetées dans la rade. On comptait si bien sur la solidité des travaux entrepris, qu’on avait laissé dans la batterie beaucoup de soldats et d’ouvriers ; ces malheureux, au nombre de près de trois cents, virent arriver ce nouveau déluge sans pouvoir s’en défendre. La violence de l’ouragan empêchait qu’on ne put aller les secourir ; on ignorait même à terre la gravité de l’événement. L’obscurité de cette nuit désastreuse la dérobait à tous les regards ; on put bientôt cependant la pressentir par un indice. Les flots apportèrent jusqu’au rivage un morceau de bois qu’on reconnut pour avoir appartenu à un ornement placé sur le sommet de l’édifice le plus élevé de la batterie ; en le voyant, les ingénieurs comprirent aussitôt que tout leur ouvrage était détruit. Quand le jour vint, la digue avait en effet presque disparu de nouveau sous les eaux, et l’on n’apercevoit plus à l’horizon que des débris et des corps flottants. Quelques hommes avaient cependant été sauvés, ainsi que nous le dirons plus loin. M. Cachin, qui le croirait ! ne se rendit point à cette expérience ; il raconte cette terrible catastrophe dans ses Mémoires comme s’il parlait d’un incident assez ordinaire ; il n’est pas même très-éloigné de trouver à l’événement un côté favorable. « Le principal effet de cette tempête, dit-il.