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l’histoire des travaux de Cherbourg, et nous aurons souvent l’occasion d’y revenir dans la suite.^[1] Cette commission n’hésita pas ; prenant hardiment son parti, elle décida qu’on ne s’arrêterait pas au point où l’on était arrivé, mais qu’on continuerait à s’élever de manière à ne s’arrêter qu’à trente pieds au-dessus, c’est-à-dire dépasser de neuf pieds le niveau des plus hautes marées. A cette époque de notre histoire, l’on concevait aisément de grandes pensées et de vastes desseins, mais le temps et le pouvoir manquaient souvent pour les réaliser. Le vœu exprimé par la commission de 1792 resta stérile. Les travaux de Cherbourg furent abandonnés. La France avait ailleurs les yeux et la main. Ce ne fut que dix ans après qu’ils furent repris. Napoléon régnait alors sous le nom de premier Consul, et il avait déjà plus de pouvoir que n’en possédèrent jamais les rois que la Révolution avait renversés. La guerre lui fit tourner les yeux vers Cherbourg. Il comprit aussitôt l’importance que pouvait avoir ce nouveau port dans la lutte qui allait recommencer avec l’Angleterre. L’un des premiers actes de son gouvernement fut d’ordonner qu’on se mît de nouveau à l’œuvre. Plus frappé toutefois du besoin de défendre les vaisseaux contre l’ennemi que de les protéger contre la mer, Napoléon ne reprit pas l’idée qu’avait émise la commission de 1792 ; il n’entreprit point, comme elle l’avait proposé, de porter la digue entière au-dessus du niveau des plus hautes marées ; il se borna à vouloir que le centre en fût élevé, sur une étendue de cent toises, qui depuis fut portée à deux cent cinq toises (quatre cents mètres) au-dessus des eaux, de manière à pouvoir re-

  1. Cette commission a joué un si grand rôle dans la destinée de celle vaste entreprise, qu’il est juste de faire connaître les noms de ceux qui la composaient ; c’étaient : MM. Crublier d'Opterre, Dezerseuil, officiers du génie ; Eyriez, Letourneur, officiers de marine ; Lamblardie, Cachin, ingénieurs des ponts et chaussées ; Lepesqueux, pilote. Elle resta assemblée près d’un an. Son rapport est un ouvrage très-considérable où toutes les parties du sujet sont touchées, et qui mérite, même aujourd’hui, d’être étudié avec coin. Il est fâcheux qu’il soit resté manuscrit.