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rendre une importance nationale bien plus grande que celle qu’il avait possédée au moyen âge.

Le dix-septième siècle vit renaître entre la France et l’Angleterre les rivalités armées que le quinzième avait vu finir. L’esprit qui animait ces deux nations était le même ; il n’y avait de changé que le théâtre de la lutte et les armes. Ce n’était plus sur la terre, mais sur la mer, que les Anglais et les Français devaient désormais vider leurs querelles, et pour s’y chercher et s’y combattre ils allaient remplacer les nefs de nos aïeux, ces petits vaisseaux, qui avaient jadis transporté l’armée d’Edouard III sur nos rivages, par d’immenses machines de guerre chargées de cent gros canons, auxquelles il fallait, pour flotter, vingt-cinq à trente pieds d’eau de profondeur. Nous ne tardâmes pas à nous apercevoir que, sous cette forme nouvelle que prenait la lutte, nous avions un grand désavantage. Dans une guerre maritime avec l’Angleterre, le champ naturel du combat c’est la Manche ; les plus grands ports mililaires des Anglais bordent cette mer ; ceux-ci pouvaient s’y armer à loisir et s’y retirer en tout temps. De notre côté, les rivages de la Manche ne présentaient aucun abri à nos flottes. Ce n’est pas que la nature eût entièrement négligé de nous donner des ports : César et Guillaume 1er Conquérant ne s’étaient jamais plaints que le manque de ports dans la Manche les eût empêchés d’envahir l’Angleterre ; mais ces ports n’étaient plus assez profonds pour recevoir les immenses vaisseaux ou plutôt ces forteresses flottantes qu’on était parvenu à pousser dans la mer et à y faire naviguer. La grandeur du génie de l’homme avait rendu l’œuvre de Dieu insuffisante.

On se rappelle que ce fut au peu de profondeur des ports de la Manche que fut dû le désastre de la Hougue. Tourville ne pouvant ni trouver un abri dans cette mer, ni passer dans l' Océan pour gagner Brest, fut contraint de s’échouer sur la plage de la Hougue, et d’y combattre sans aucun espoir de succès. Ce n’est pas, comme on l’a cru, la défaite de la