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NOTES DE VOYAGES.

tent ensemble dans un espace beaucoup trop étroit pour les contenir, parle un langage, porte un habit, accuse des mœurs différentes. Tout ce monde se meut avec une activité qui semble fébrile. Toute la basse ville paraît en état de destruction et de reconstruction. On ne voit de toutes parts que ruines récentes, édifices qui s’élèvent ; on n’entend que le bruit des marteaux. C’est Cincinnati transporté sur le sol de l’Afrique.

Les Français substituent de grandes rues à arcades aux petites ruelles tortueuses des Maures. C’est une nécessité de notre civilisation ; mais ils substituent aussi leur architecture à celle des Maures, et ils ont tort ; car cette dernière est très-appropriée aux besoins du pays, et, de plus, charmante. La plus belle maison maure ne présente au dehors qu’un mur, sans autre ouverture qu’une porte cintrée. Cette porte conduit dans un vestibule soutenu par des colonnettes ; dans ce vestibule s’ouvre un escalier qui mène à une cour carrée, entourée de galeries, lesquelles sont soutenues par des arcades et des colonnes. Ainsi, à chaque étage, toutes les chambres donnent sur cette cour, dont l’aspect est frais et élégant plus que je ne puis le dire. Dans toutes les maisons un peu soignées les colonnettes sont en marbre blanc curieusement sculpté ; le bord des arcades également est festonné comme de la dentelle. Le tout présente l’aspect de la vie intérieure au plus haut degré. L’architecture peint les besoins et les mœurs. Celle-ci ne résulte pas seulement de la chaleur du climat ; elle peint à merveille l’état social et politique des populations