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le lettré ; toute la société était livrée à ces deux hommes et on conçoit qu’elle devait l’être.

Mais au dix-huitième siècle, beaucoup de riches n’étaient pas nobles, et beaucoup de nobles n’étaient plus riches ; on pouvait en dire autant par rapport aux lumières. Le tiers état formait donc comme une des portions naturelles de l’aristocratie, séparée du corps principal, qu’il ne pouvait manquer d’affaiblir en ne lui prêtant pas appui, et qu’il devait détruire en lui faisait la guerre.

L’esprit exclusif des nobles ne tendait pas seulement à détacher de la cause générale de l’aristocratie les chefs du tiers état, mais encore tous ceux qui espéraient un jour le devenir.

La plupart des aristocraties sont mortes, non point parce qu’elles fondaient l’inégalité sur la terre, mais parce qu’elles prétendaient la maintenir éternellement en faveur de certains individus, et au détriment de certains autres. C’est une espèce d’inégalité plutôt que l’inégalité en général que haïssent les hommes.

Il ne faut pas croire non plus que ce soit l’excès de ses privilèges qui, le plus souvent, fasse périr une aristocratie ; il peut, au contraire, arriver que la grandeur même de ces priviléges la soutienne. Si chacun croit pouvoir un jour entrer dans un corps d’élite, l’étendue des droits de ce corps sera ce qui le rendra cher à ceux même qui n’en font pas encore partie. De cette manière les vices même de l’institution feront sa force ; et ne dites pas que les chances d’y entrer sont faibles ; cela n’importe guère