Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 8.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a départi la Providence, la loi des substitutions agissant dans le sens des idées et des mœurs achève de créer un sommeil et une immobilité universelle. Les roturiers n’ayant guère plus de chance d’acquérir des richesses que les gentilshommes, et les gentilshommes n’ayant point de chance de perdre la leur, tout l’avantage reste à ceux-ci ; et chaque génération se tient sans peine au rang que la précédente génération a occupé.

Mais dans une nation où tous, excepté les gentilshommes, cherchent les moyens de s’enrichir, les biens de la noblesse forment bientôt comme une proie commune dont les autres classes cherchent à s’emparer. Chacun s’aidant de l’ignorance des nobles, de leurs passions et de leurs faibles, s’efforce à l’envi d’entraîner dans le mouvement général des affaires la masse des biens qu’ils possèdent. Bientôt la noblesse elle-même ne tarde point à s’associer à ces efforts.

Les roturiers n’ayant que le privilége commun de la richesse à opposer aux priviléges de toutes espèces dont jouissent leurs rivaux, ne manquent pas d’étaler à leurs yeux tous les fastes de l’opulence. Ils deviennent un objet d’émulation pour les nobles, qui veulent imiter leur splendeur, sans en connaître les sources. L’embarras ne tarde point à naître dans la fortune de ceux-ci ; leur revenu finit par être inférieur à leurs besoins. Ils arrivent à considérer eux-mêmes comme une ennemie la loi qui les protège, et se prêtent de tout leur pouvoir à l'éluder. Je ne veux point dire que même alors les substitutions ne retardent pas la ruine des nobles, mais je pense